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- Rencontre avec Valérie Onnis
Mon enseignement vise l’acquisition du plus fondamental pour l’acteur: « être là » à travers son corps : un corps relié à soi, à l’autre et à l’espace.
Avant toute action, avant toute parole, l’acteur doit être là dans son corps. Il s’agit de trouver ce centre, cet endroit à la fois neutre et vibrant à partir duquel peuvent jaillir le mouvement, et la voix. Un corps simplement « humain », débarrassé de toutes ses couches sociales, culturelles, héréditaires : réflexes mécaniques, habitudes, « tics » de comportement, de pensée, de parole. Ce corps neutre et vibrant, comment le laisser émerger?
C’est un cheminement qui ne peut être abordé frontalement.
J’utilise, le mouvement comme accès à une prise de conscience de toute la personne. C’est le mouvement, indispensable à la vie, qui nous fait prendre conscience de ce que nous sommes.
Mon enseignement est organisé autour de 2 axes qui s’entremêlent au cours des 3 années de formation des étudiants:
le premier axe, c’est une recherche du « corps naturel » de chacun, un travail sur la conscience du corps ;
le second axe, c’est un travail d’atelier, qui met en jeu la conscience sensible du corps : développer l’improvisation, la composition, la mémorisation chorégraphique – travail dans lequel mouvement, respiration et parole s’entrelacent.
En ce qui concerne le premier axe, l’approche que j’ai développée pour explorer le corps de l’acteur et sa conscience est issue principalement de la Méthode Feldenkrais, dont je suis diplômée, mais s’appuie également sur le Hatha Yoga et le Qi Gong que je pratique depuis plus de 15 ans. C’est un apprentissage organique: comprendre, à travers le mouvement, minimal ou maximal, comment nous sommes construits, comment toutes les parties de notre corps s’organisent entre elles, en fonction de la gravitation terrestre, comment s’ancrer dans le sol, chercher l’expansion dans l’espace, s’articuler dans une synergie, pour un mouvement fluide, sans tensions, jouant d’une force maîtrisée.
Lors de ces explorations, l’étudiant est appelé à être constamment attentif à ce qu’il ressent, à ce qu’il vit : il développe sa sensation proprioceptive. Cela le conduit à une perception de plus en plus raffinée de lui-même et de la situation.
L’objectif profond de cet enseignement, à travers la prise de conscience du mouvement, est de rendre les acteurs libres, disponibles, authentiques dans leur jeu. C’est là l’enjeu du travail sur le corps. Il se crée alors un cercle vertueux où le corps naturel serait un ancrage pour le texte, qui lui-même, par sa sonorité, les images qu’il renvoie agirait sur le corps. Le tout pour créer une matière vivante de jeu.
La deuxième partie de mon travail est axée sur les fondamentaux de la danse contemporaine: les dynamiques et poétiques du mouvement, la relation à l’espace, la mémorisation mais aussi l’écriture chorégraphique qui leur offre le plaisir de devenir chorégraphes sur de petites séquences. Nous explorons aussi le lien direct entre voix et corps, en voyageant du souffle, au son, aux mots, au texte.
La danse-contact improvisation prend sa place dans ce volet : elle permet aux étudiants d’expérimenter concrètement, physiquement, ce que crée une véritable relation avec leur partenaire dans l’instant présent, dans l’improvisation. Grâce à la danse-contact, nous faisons des rapprochements avec les difficultés récurrentes qu’ils rencontrent dans leur jeu: passivité, volontarisme, manque d’impulsions ou d’adresse, qualité d’écoute, anticipation….
Après une formation complète en danse, je me suis tournée vers le théâtre. Au Théâtre Ecole du Passage (l’école de Niels Arestrup), j’ai travaillé avec entre autres Francine Bergé, Jean-Philippe Ecoffey, Philippe Minyana, et …Alexandre del Perugia, qui m’a fait découvrir la méthode Feldenkrais. Cette approche a cheminé en moi, pour ne plus jamais me quitter.
Au sortir de l’Ecole, j’ai créé ma Compagnie et démarré une recherche chorégraphique reliant danse contemporaine et théâtralité. Chaque jour, j’ai « préparé » les danseurs professionnels aux répétitions. Les pratiques somatiques alors très présentes dans ma recherche, m’ont ouvert de nouvelles voies tant dans l’enseignement que dans la création. Dans cet élan, j’ai choisi de devenir praticienne de la méthode Feldenkrais.
Puis, en travaillant avec des danseurs-chorégraphes comme Olivier Gelpe ou Thierry Baë, qui développent un magnifique travail reliant danse contemporaine et d’autres techniques comme le Qi-Gong ou le Taï Chi, j’ai approfondi cette vision du corps énergétique, relié. Une vision bien différente de cette dualité esprit /corps que notre monde occidental nous a transmis. C’est ce lien qui m’avait manqué dans ma première formation de danseuse et que j’avais cherché ensuite dans le théâtre.
L’artiste puise sa force dans la profondeur de son être et ces techniques lui offrent des outils concrets pour se relier à soi, à son partenaire, à son environnement.
Mon enseignement réunit ces pratiques que je continue à exercer personnellement, à développer, à mettre en relation…dans une recherche passionnante, sans fin.
Après plus de 10 ans d’enseignement de la danse contemporaine, à la fois auprès des danseurs classique du CRR et des acteurs étudiants de l’ESAD, je relève un problème récurrent chez tous, une difficulté qui est d’autant primordiale qu’elle ne le parait pas au premier abord :
une confusion profonde sur l’endroit de la « tenue ». Ou pour simplifier la chose: qu’est ce qu’on tient? Et par où?
La plupart des personnes se tiennent « par l’extérieur », anatomiquement parlant avec les muscles de surface, ce qui crée une cuirasse, emprisonne la cage thoracique, bloque le bassin, entraine de mauvais appuis des pieds, etc. … !
De là, naissent blocages respiratoires, voix mal placée…. Fatalement, il n’y a plus d’utilisation de la gravité, les efforts inutiles sont constants. Tout le corps ne tient que par un jeu de compensations, de tiraillements, qui épuisent le système nerveux. Cela ne peut nullement apporter liberté, ni mentale ni physique, malgré la meilleure volonté !
Ce serait comme un « empilement raté » qui nécessiterait des cordes tendues en permanence pour maintenir sa construction.
Comment rester alors vibrant, perceptif à l’espace autour, au partenaire, à la situation?
Il faut sortir de la confusion entre la musculature périphérique (ou plus superficielle) et la musculature profonde. La première est liée à l’action et au mouvement. La seconde, elle, va façonner la posture en soutenant le squelette. Or, la plupart du temps, on fait l’inverse ! Cette confusion se manifeste d’autant plus que la personne est inquiète, angoissée par son texte et son rôle. Il s’agit de repérer cette habitude, et de connaitre, en soi, la référence à une autre sensation: celle de la légèreté, de la tranquillité, et de l’élévation. Il faut aussi connaitre les outils pour la convoquer. Quand nous sentons le support du squelette, les muscles se dégagent pour le mouvement, ils n’ont plus besoin de porter le squelette. Or les émotions s’inscrivent dans les muscles et le système nerveux.
Les élèves me disent souvent "ah, mais je ne sens pas !". Il faut développer la perception de soi-même afin de sentir ce qui se passe pendant que ça se passe. Et cela demande de la patience. Tout se développe dans et par la pratique.
Pouvoir se réjouir chaque jour de replonger dans ce travail, comme un enfant passionné par son jeu, est une grande qualité.
Etre interprète, acteur ou danseur, être artiste, est un travail qui demande de la curiosité et beaucoup d’expérimentations.
Ce qui est important, c’est d’expérimenter, de vivre ces expériences pleinement sans chercher tout de suite un résultat, être à l’endroit neutre où la pensée et le mouvement sont totalement disponibles…laisser circuler le sens, en ne séparant jamais le geste de la parole.